
Avec le « Brexit », l’Europe vit un temps historique. Au-delà du choc causé outre-Manche et sur le continent par le vote du jeudi 23 juin, il faut agir. L’urgence est double : mettre en œuvre le retrait britannique et réinventer l’Europe.
Les Britanniques ont souhaité que leur pays quitte l’Union européenne. C’est un choix lourd de conséquences et d’abord pour le Royaume-Uni. Sa puissance financière s’en trouve affaiblie. Son unité est menacée dans sa géographie – le gouvernement écossais envisage de nouveau l’indépendance. Son pacte social est fracturé : la cassure avec la jeunesse qui a massivement voulu le maintien dans l’UE est profonde.
Ce choix est celui, libre, souverain, des Britanniques et toutes les conclusions doivent en être tirées par les autres pays européens. Avec un principe clair : quand on est dehors, on n’est pas dedans. Le processus de séparation est à mettre en route dans les délais les plus courts. Des règles sont prévues par les traités : le Premier ministre britannique, comme il en avait pris l’engagement avant le scrutin, doit s’y conformer sans calcul ni cynisme. Que M. Cameron n’ait pas anticipé les effets pour son pays du référendum qu’il a organisé et que les partisans du « Brexit » aient utilisé des arguments pour battre campagne qui les embarrassent aujourd’hui montre à quel point la démocratie peut être abimée par la démagogie.
Tout vote est un engagement. Dès vendredi dernier, la France a affirmé qu’il n’y a pas de temps à perdre car il n’y a pas de place pour l’incertitude. Avant-hier, Paris, Rome et Berlin, ainsi que le président de la Commission européenne, hier le Parlement européen, ont réaffirmé cette fermeté. La cohésion de l’ensemble européen ne saurait être altérée par la décision d’un seul de ses membres. La France en général et la Normandie en particulier continueront de travailler avec ce grand pays ami auquel nous lient l’histoire, la géographie, les échanges, notamment culturels. Entre nos deux nations, les relations étroites en matière de défense seront préservées. Mais désormais, le Royaume-Uni va être en dehors de l’Union européenne et doit être considéré comme un pays tiers.
Le vote britannique met l’Europe à l’épreuve. Il est l’amplificateur autant qu’un révélateur de la crise de projet qui la traverse depuis de nombreuses années.
L’Union n’est pas suffisamment puissante dans la mondialisation alors qu’elle a des valeurs et des intérêts à y faire prévaloir ; cela suppose qu’elle se consacre à l’essentiel mais aussi que les Etats renoncent aux vétilles quand les défis du XXIe siècle appellent des réponses à l’échelle du continent. L’élargissement indispensable après la chute du Mur de Berlin s’est opéré sans l’approfondissement souhaitable. Les politiques d’austérité menées par les conservateurs et les libéraux, majoritaires en Europe depuis le début des années 2000, ont nui à la croissance, empêché ou retardé la reprise, aggravé le chômage. Enfin, absorbée par les procédures, l’Europe a souvent négligé les projets.
L’Europe réduite à un vaste marché ordonné par la concurrence – et le Royaume-Uni n’y est pas pour rien – a oublié qu’elle est d’abord une idée, celle qu’ont eue nos ainés après l’horreur de deux guerres mondiales. Avant d’être un marché, l’Europe est un projet, à la fois creuset de civilisation et levier dans la mondialisation.
Aujourd’hui, soit l’Europe cède à la tentation du repli et elle se disloquera sous le déchainement du nationalisme dont l’Histoire a montré la logique violente et tragique, soit elle reconquiert l’adhésion des peuples et, pour y parvenir, doit procéder à des changements profonds.
Depuis 2012, la France a pesé pour réorienter l’Union européenne face aux crises qui l’assaillaient. Sauvetage de la zone euro et maintien de la Grèce en son sein, fin de l’euro cher pour soutenir nos industries et notre agriculture, Union bancaire pour qu’en cas de choc financier, les banques payent pour les fautes des banques, politique européenne conjuguant solidarité et responsabilité face au drame des réfugiés : ces décisions ont été portées par notre pays et sont aujourd’hui des acquis collectifs.
Après le choc du vote britannique, comme l’a dit le Président François Hollande, « l’Europe, pour aller de l’avant, ne peut plus faire comme avant ». Au Conseil européen qui se déroule cette semaine, la France est à l’initiative pour ce sursaut. Le nationalisme est une menace. L’ultra-libéralisme est une impasse. L’immobilisme n’est pas une option. La mutualisation solidaire constitue le chemin désirable et praticable. C’est celui que portent les socialistes français et européens.
Nous voulons bâtir une Europe puissante et solidaire, capable de protéger et de progresser. Elle repose sur quatre piliers.
– La sécurité du continent pour faire face aux menaces, et d’abord à celle du terrorisme djihadiste. Amplifier les coopérations en matière de police et de justice, définir une politique étrangère et de sécurité commune à la hauteur des défis, sont des enjeux essentiels.
– Un programme d’investissements pour la croissance et l’emploi. Le plan Juncker est un succès : en France, il représente déjà 15 milliards d’euros et 35 projets. Démultiplions-le dans trois domaines : la transition écologique et énergétique, le numérique et la jeunesse avec, au-delà de la Garantie jeunes, l’émergence de nouvelles universités de dimension européenne.
– Des règles et des garanties dans la mondialisation. A l’intérieur de l’Union par l’harmonisation sociale et fiscale ; c’est l’objet, entre autres, de la révision en cours de la directive sur le détachement des travailleurs pour combattre les fraudes. Avec le reste du monde, à travers le respect de normes sanitaires, sociales et environnementales de haut niveau dans les échanges commerciaux : c’est pourquoi le traité transatlantique, le TAFTA, n’est pas acceptable.
– Une Europe des cercles dont le premier est la zone euro. Son fonctionnement doit être approfondi grâce à un gouvernement économique et un budget.
Dans le nouveau siècle, face à de nouveaux défis, l’Europe doit affirmer ses valeurs, liberté, démocratie, droits de l’homme, ses intérêts, ceux de ses entreprises et de ses salariés, et sa vision d’une mondialisation maîtrisée et humanisée. Là est le sens de l’Europe.
